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​Raphael Richard, Neodia : "L'intelligence artificielle représente l'âge de maturité de l'informatique"


CEO de Neodia et 24PM, Raphael Richard dévoile un cycle de formation à l'intelligence artificielle. Dans cette interview, il fait d'ailleurs le parallèle entre les débuts de l'internet et ceux de l'IA, et explique ce que les entreprises peuvent attendre de cette nouvelle discipline de l'informatique.



Comment expliquer l’engouement actuel pour l’IA ? Est-ce un buzz momentané ou une vraie inflexion dans l’histoire de la tech ? La machine devient-elle réellement intelligente comme en a rêvé Turing il y a plus de 70 ans ?

RR - C'est à la fois un buzz momentané et une vraie inflexion de l'histoire de la tech. Buzz car on promet des évolutions qui ne se produiront peut-être jamais. Buzz aussi car l'IA est devenu depuis 4 ans un moyen de lever plus d'argent pour les start-ups, de vendre plus de logiciels ou de cloud ou de vendre plus de bouquins et conférences. Buzz encore, car véhiculé par de faux spécialistes qui ont découvert le machine learning en 2015 et sont devenus consultants en stratégie d'IA en 6 mois. Véritable inflexion, "en même temps", parce que l'intelligence artificielle correspond de mon point de vue (subjectif) à un stade de maturité de l'informatique. Alors que l'informatique devait permettre de réaliser des gains de productivité incroyables, le taux de croissance de la productivité des entreprises n'a jamais été aussi bas que depuis l'introduction de l'informatique en entreprise (il a commencé à fortement baisser à partir du milieu des années 1980 dans les économies développées). 

Depuis 40 ans, l'informatique permet de faire les choses autrement, peut-être mieux, mais globalement, pas de façon plus efficace, en tout cas du point de vue la productivité. Ce sont les chiffres de productivité qui le disent. Pourquoi ? Probablement parce que l'informatique s'accompagne de coûts élevés: matériel, logiciels, abonnements au cloud, système de sécurité, perte de temps liée aux réseaux sociaux, bande passante et qu'au bout de la chaîne, seule une minorité de collaborateurs utilisent les outils digitaux de façon optimale. L'intelligence artificielle représenterait, dans cette perspective, d'une certaine manière, l'âge de maturité de l'informatique dans la mesure où l'informatique va être utilisée pour réaliser des traitements "intelligents", rendant les humains plus performants. Dans son volet "automatisation", elle permet déjà de réaliser les tâches plus rapidement et dans son volet "augmentation", elle permettra à un collaborateur donné d'élargir son champs d'intervention (grâce aux agents intelligents qui lui permettront de gérer des dossiers sur lesquels il est "naturellement" incompétent). 

Demain, dans les métiers du digital où les équipes n'ont jamais suffisamment de temps et de compétences pour tout faire et tout comprendre, un traffic manager d'une PME pourra s'appuyer d'une part sur des assistants de SEO, des assistants  Google Ads, Facebook Ads, assistants Emailing qui définiront les stratégies optimales et formuleront des recommandations hebdomadaires, et d'autres part sur des automates qui automatiseront la rédaction de textes optimisés pour le SEO et la conversion, la gestion quotidienne des campagnes Google Ads, Facebook Ads... Cela aura un coup qui ne sera pas marginal, mais une seule personne pourra gérer de façon plus efficace de nombreux dossiers. Quand je dis demain, c'est vraiment demain car les différentes briques sont déjà en train de mettre en place.


Mais concrètement qu’est-ce que l’IA ? Les mathématiques, les statistiques, l'informatique ou mêmes les algorithmes lui sont bien antérieurs ...

RR - Il existe de nombreuses définitions techniques de l'intelligence artificielle et il est difficile de clore des débats d'experts qui, de façon arbitraire estiment pour les uns qu'il y a intelligence artificielle lorsque le machine est capable d'apprendre toute seule (apprentissage automatique non supervisé), pour les autres lorsqu'elle sait répondre aussi naturellement qu'un humain (cf le "test de Turing") ou pour d'autres encore si l'algorithme repose une approche technique inédite. 

Pour dépasser ces querelles d'experts et s'appuyer sur une définition pérenne, une première voie consiste à s'intéresser à ce qu'est l'intelligence, en général. Savoir réaliser des calculs compliqués de tête requiert une forte dose d'intelligence. Savoir piloter un avion de chasse requiert de nombreuses compétences (perception multidimensionelle de l'environnement, anticipation des mouvements de l'ennemi, capacité à se projeter quelques dizaines de secondes dans le futur pour déterminer la trajectoire optimale, exceptionnelle capacité de coordination des mouvements...). Mais trouver les mots qu'il faut pour réconforter une personne dans la peine, requiert une autre forme d'intelligence,  l'empathie, la capacité à réfléchir comme l'autre personne réfléchit. 

Sans adopter une posture démagogique, on ne peut que constater qu'il existe de nombreuses formes d'intelligence. J'en ai identifié une vingtaine, dont certaines sont uniquement liées à la perception ou au langage: lorsque mon bébé de 21 mois reconnaît ce qu'est un avion, je suis en admiration devant son intelligence. Lorsqu'en plus, il dit "plane" avec l'accent en désignant l'avion du doigt, je vois quasiment en lui un génie bilingue, alors qu'il s'agit de formes d'intelligence commune. Et ce n'est pas parce que l'intelligence est commune ou triviale qu'elle n'est pas intelligence.  Dans cette perspective, toutes les applications qui simulent la perception, l'analyse, le raisonnement ou reproduise des actions ou le language qui nécessitent une certaine forme d'intelligence, s'inscrivent selon moi, dans le cadre de l'intelligence artificielle. Projeté dans le cadre d'une entreprise, l'intelligence artificielle qui m'intéresse est celle qui permet d'automatiser la perception (reconnaissance d'image par exemple), l'analyse (de texte, de tendances par exemple), le raisonnement (des recommandations de consultants ou des suggestions de produits), les actions (basculer une video en ligne, déclencher l'envoi d'un email avec un contenu personnalisé, robotique) ou le language (chatbots, voicebots, trigger marketing). 

Évidemment, cette définition qui débordent largement les définitions techniques classiques de l'IA est discutable, mais comme dans le cadre d'une entreprise, on se moque de savoir ce qui relève techniquement de l'IA ou pas et que l'on s'intéresse surtout aux bénéfices (au niveau productivité, qualité, sécurité...) , dresser des frontières entre IA, automatisation simple, data ou analyse statistique, ne fait, je crois, pas tant de sens que cela.


Neodia a décidé de lancer une formation sur l’IA. Quel peut être le ROI pour les personnes qui en bénéficieront ? Inventer de nouveaux services ? Optimiser des processus existants ?

RR - Nous sommes au début d'une vague de démocratisation de l'IA similaire au début de la vague de démocratisation de l'internet en 1998. C'est le farwest. A cette époque, l'internet avait déjà 30 ans, mais le grand public et les entreprises commençait à se le réapproprier. Des milliers d'entreprises créaient des sites souvent improbables, connectaient leur entreprise à internet sans avoir formé les collaborateurs, les dirigeants faisaient des chèques avec 6 zéro alors qu'ils ne disposaient pas de modèle pour comprendre la globalité du phénomène et il fallait tout recommencer trois ans plus tard. Certaines sociétés qui ont fait de mauvais choix, ne s'en sont jamais remises (Borders, Surcouf, ToysRus,FranceSoir...) tandis que d'autres qui avaient une vraie vision à la fois stratégique et pratique ont explosé (Vente Privée, Meetic, Free, CommentCaMarche...). C'est pour cette raison que j'avais écrit à l'époque le Papillon Digital, pour décoder le nouvel écosystème qui émergeait, expliquer les outils et proposer des stratégies de transformation digitales.

Aujourd'hui, nous en sommes presque au même moment en matière d'IA. La vague est déjà là, mais on a du mal à en mesurer la force exacte et à en comprendre sa nature. On peut tout imaginer, on sait qu'il y aura des gagnants et des perdants, mais on sait que "faire de l'IA" à coup de millions d'euros, ne suffira pas aux entreprises pour gagner dans cette nouvelle ère. J'ai observé que pour la plupart des entreprises, il a fallu 10 ans pour qu'elles utilisent internet de façon efficace. C'est une éternité.  On a le temps de se faire disrupter 2 fois, comme diraient les nouveaux gourous. L'ambition de 24pm Academy, c'est de faire gagner 5 ans sur la courbe d'apprentissage de l'IA, en expliquant comment aujourd'hui gagner en productivité avec l'intelligence artificielle, améliorer ses performances commerciales, la fidélisation des clients, réduire ses coûts, faire parler les chiffres (la fameuse data) et de traiter les aspects satellites (formation des collaborateurs aux nouveaux outils d'IA, gestion des craintes liées à l'IA, impact sociétal, impact écologique, impact sur le marché de l'emploi, surveillance...). 

Évidemment, la formation s'intéresse aussi à ce qui se produira demain dans l'entreprise à cause de l'IA: nous avons mis au point des modèles de transformation en entreprise "AI first" à l'instar de Google, nous expliquerons aussi comment créer de nouveaux produits, comment attaquer de nouveaux marchés, comment créer de nouveaux business models avec l'IA. Par exemple, nous sommes en train de travailler sur les nouveaux business models basés sur l'IA et la robotique dans le domaine du nettoyage. Dans ce secteur, les sociétés doivent relever de multiples défis: faibles marges, difficulté de recrutement, gestion de la qualité, fort turn over. La première entreprise qui met au point un modèle hybride humain-robots nettoyeurs sera un game changer. Pour mieux étudier ce qu'il sera possible de faire concrètement, nous avons nous-mêmes, d'ores et déjà rompus notre contrat de travail avec notre ancienne société de nettoyage et investi dans un robot aspirateur... Si l'on peut aider les entreprises à réussir leur mutation AI, il faut les faire rêver, mais surtout être très pragmatique. Comment disait Beethoven ? 5% de d'inspiration et 95% de transpiration ?

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http://www.24pm.com/etudes/210-une-etude-annonce-que-22-des-entreprises-voient-dans-l-ia-un-enjeu-strategique

Jérôme Bouteiller
Pionnier de la presse en ligne avec le lancement de NetEconomie.fr en 1999, Jérôme Bouteiller est... En savoir plus sur cet auteur


Mercredi 24 Juillet 2019


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