Un tournant stratégique majeur, orienté commercial
Comme l'explique Samantha Henig, directrice générale de WP Ventures, dans un mémo conjoint avec Thompson obtenu par Fox News Digital :
"Il y a un an, nous avons entrepris de comprendre et de répondre à l'évolution des dynamiques de l'information, spécifiquement off-plateforme web du Washington Post et dans "le creator space". Nous avons officiellement lancé WP Ventures en janvier, avec un accent sur la portée, la pertinence et les revenus : étendre notre présence sur les réseaux sociaux et créer de nouvelles opportunités commerciales, en particulier pour le journalisme conso et lifestyle (...) [ce projet] "a toujours été conçu pour être en évolution continue et a toujours été expérimental."
La décision de séparer complètement WP Ventures de la rédaction principale représente un changement significatif par rapport à la vision initiale
En d'autres mots : le contenu sur les réseaux, en vidéo, avec un ton adapté c'est bien : mais ça rapporte pas efficacement si on applique uniquement des règles adaptées au fonctionnement d'une rédaction standard. Si on veut ramener un audience utile aux annonceurs, il faut se préoccuper un peu moins de journalisme et un peu plus de sujet qu'on peut co-brander ou qui peuvent intéresser les marques. Suzi Watford, directrice de la stratégie, supervisera désormais WP Ventures."Il est devenu clair que pour fonctionner le plus efficacement possible dans ce nouvel environnement, nous devions renforcer le concept original de création d'un troisième espace aux côtés - mais en dehors - de la rédaction et de [la rédaction des pages ] l'Opinion."
« À l'avenir, nous nous concentrerons entièrement sur la création de contenus et de franchises axés sur le people, autour de personnalités dans des domaines qui intéressent notre public cible, les "Confident Strivers", et qui présentent de solides opportunités commerciales. Cela pourrait inclure des contenus audio, vidéo, des newsletters et des événements. Nous adopterons de manière responsable l'intelligence artificielle pour raconter et promouvoir des histoires de manière innovante et à grande échelle sur de nouvelles plateformes »,
Ces changements interviennent dans un contexte difficile pour le Washington Post, racheté par Jeff Bezos d'Amazon en 2013, marqué par un exode sans précédent de ses talents, un moral en berne et des modifications majeures de la section Opinion à la demande du patron lui-même, dans un virage Trump compatible assez évident.
La décision de séparer WP Ventures de la rédaction principale; s'inscrit dans ce contexte, mais questionne globalement sur l'efficacité globale des contenus journalistiques "publiés sur les plateformes". "Le Washington Post, comme beaucoup d'autres médias traditionnels, est confronté au défi de se réinventer tout en préservant son héritage journalistique. La séparation de WP Ventures est une reconnaissance que ces deux objectifs nécessitent parfois des structures distinctes." souligne un commentateur interrogé par le média Axios.
"Les équipes qui sont étroitement liées à la rédaction resteront dans la rédaction." Cette distinction reflète la volonté de maintenir certaines synergies tout en permettant une plus grande liberté d'expérimentation pour les initiatives purement commerciales." et prouve au passage que course au clic sur les RS et maintien d'une information composée avec les codes qui ont fait la richesse historique du journal historique ne font pas toujours bon ménage pour un positionnement clair de la marque média. Tensions prégnante pour les médias américains vivant de la publicité autant que des abonnements, mais qui arrive en France aussi sous de multiples formes. A plus forte raison que les géants du numérique sont en train de tuer la course au clic dans les moteurs de recherche, à coup de résumé iA.
Conclusion, questions et perspectives pour le marché français.
La réorganisation de WP Ventures et sa séparation nette de la rédaction principale du WaPo marquent une étape importante dans l'évolution du média américain.
Cette décision reflète aussi avec un peu d'avance sur la France, les complexités de la transformation numérique des médias traditionnels à l'heure des plateformes de réseaux sociaux et la nécessité de questionner (puis trouver) un point d' équilibre délicat entre innovation des supports, rentabilité commerciale et préservation des valeurs journalistiques fondamentales inhérentes à la marque média qui les porte.
En l'occurence, si le WaPo était déjà un média connu pour son orientation People et LifeStyle, aurait-il eu autant de scrupules et de mesure dans les communiqués de presse, au moment de rapatrier cette direction des contenus numériques au nouveau ton et nouveaux formats, sous la direction commerciale du titre. Aurait-on agi à sa direction avec autant de crainte pour la légitimité journalistique du titre qui "s'adapte" aux nécessités du commerce qui soutient le Washington Post. A ce titre peut-on rapprocher le "mouvement" de WP Ventures d'initiatives plus commerciales proposées en France par Kombini ou Brut, mettant leur marque et leur branding au service d'une forme de publirédactionnel, moins journalistique.
Cette bifurcation d'une partie des contenus numériques "off-plateformes" vers plus de "vendabilité" pose beaucoup de questions auxquelles les médias français auront aussi à répondre: qu'ils soient portés uniquement par les recettes commerciales ou mus aussi par des missions de service public:
Comment cette séparation affectera-t-elle la culture d'entreprise globale ? Y aura-t-il un contenu noble et un contenu qui se plie aux dictats des annonceurs? Qui sera le garant de la probité journalistique des créations? Quels seront les indicateurs de succès pour cette nouvelle structure ? Les annonceurs? Le taux de clic sur des contenus plus éloignés de la ligne et du ton usuels du Wapo? Comment le Post compte-t-il gérer les éventuels conflits d'intérêts qui pourraient émerger ? Alors qu'on sait que l'ingérance de Bezos fait déjà grincer les dents... comment gérer la pression des annonceurs, en plus? Au détriment de la mission d'information? La promesse d'une "responsabilité dans l'adoption de l'IA" et de "nouvelles façons de raconter des histoires" soulève des questions éthiques complexes. Comment le Post compte-t-il concrètement gérer les potentielles tensions entre impératifs commerciaux et déontologie journalistique ? La frontière entre contenu éditorial et contenu commercial pourrait devenir de plus en plus poreuse. Quelles leçons peuvent être tirées pour d'autres médias en transition dans des univers moins directement soumis aux fluctuations commerciales, mais en quête de rentabilité ou d'audience pertinente. Faut-il miser sur la quantité de productions consensuelles appeaux à clic ? Ou miser plus encore sur des contenus appelés à devenir sur d'autres platefomes que le site web du média, les carte de visite de la qualité du média historique qui les crée? En la matière, l'expérience défrîcheuse de cette transition du Wapo visant à porter le journalisme sur plus de supports, puis obligeant aux concessions rétropédalantes pour mieux servir le commerce du média... Est un cas d'école intéressant et sans doute prémonitoire. pour l'hexagone.