đ©đ»âđаQuelques jours aprĂšs la polĂ©mique concernant WhatsApp, et son projet de partage des donnĂ©es personnelles avec Facebook, JĂ©rĂŽme Bouteiller, fondateur de EcranMobile.fr, nous explique pourquoi et surtout comment la data est devenue le pĂ©trole de lâapp economie...
đ§đ» Bonjour Delphine. Oui ces derniĂšres semaines, plusieurs affaires ont mis en exergue lâimportance de pouvoir collecter des donnĂ©es personnelles, pour monĂ©tiser les applications.
Nous avons tout dâabord eu droit en dĂ©cembre Ă une passe dâarme entre Apple et Facebook, avec lâarrivĂ©e dans lâApp Store de nouvelles fiches dĂ©taillant les donnĂ©es collectĂ©es par les applications.
Et plus rĂ©cemment, une polĂ©mique concernant WhatsApp, et ce projet de mise Ă jour des conditions gĂ©nĂ©rales dâutilisation, afin de collecter demain autant de donnĂ©es personnelles que Messenger ou Instagram.
> Visuel WhatsApp
đ©đ»â𩰠ConcrĂštement, Ă quoi servent ces donnĂ©es personnelles ?
đ§đ»Pendant longtemps, lâĂ©conomie des mĂ©dias consistait Ă vendre un « contenu Ă un lecteur ». Câest le modĂšle historique de la presse Ă©crite et câest encore le modĂšle pour lâindustrie du cinĂ©ma, du jeu ou de la musique.
Mais en parallĂšle, un autre paradigme sâest imposĂ©, câest celui de la publicitĂ©. Et dans cet Ă©cosystĂšme, on ne vend plus un contenu Ă un lecteur mais lâattention dâun lecteur Ă un annonceur.
Câest ce que le prix de Nobel dâĂ©conomie Herbert Simon appelait dans les annĂ©es 70 « lâĂ©conomie de lâattention ». Et câest ce quâavait superbement illustrĂ© lâancien patron de TF1, Patrick LeLay, en expliquant que son mĂ©tier, câĂ©tait de vendre du « temps de cerveau disponible Ă Coca-Cola. »
> Visuel Herbert Simon
đ©đ»â𩰠Un temps de cerveau disponible qui est dĂ©sormais sur le mobile et dans les applications ?
đ§đ»Oui, en quelques annĂ©es, les usages ont profondĂ©ment changĂ©. Nous sommes entrĂ©s dans lâĂšre du « mobile first », avec un smartphone qui est dĂ©sormais plus consultĂ© chaque jour que lâordinateur ou le tĂ©lĂ©viseur.
Mais nous sommes Ă©galement entrĂ©s dans lâĂšre de lâApp First, avec des application qui captent 90% de notre temps mobile, et des « Super Applications » comme WhatsApp, capable dâattirer chaque mois plus de 2 milliards dâutilisateurs dont 30 millions en France
Et contrairement Ă la tĂ©lĂ©vision qui montrait simultanĂ©ment une mĂȘme publicitĂ© Ă tous ses tĂ©lĂ©spectateurs, sur mobile, les annonceurs comme Coca-Cola peuvent cibler trĂšs qui sera exposĂ© Ă leur message, prĂ©cisĂ©ment, grĂące aux donnĂ©es mobiles.
> Visuel ?
đ©đ»â𩰠Justement, quelles donnĂ©es sont collectĂ©es et exploitĂ©es ?
đ§đ»Les plates-formes internet cherchent dâabord Ă rĂ©cupĂ©rer des donnĂ©es « identifiantes », comme un email, un numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone, un cookie ou un advertising ID. LâintĂ©rĂȘt est de pouvoir distinguer les mobinautes, de maximiser la couverture, de mesurer la rĂ©pĂ©tition mais Ă©galement de cibler, ou exclure, certaines populations comme ses propres clients.
Ce sont ensuite des donnĂ©es socio-dĂ©mographiques sur votre genre, sur votre Ăąge, sur le niveau de revenus. On peut Ă©galement rĂ©cupĂ©rer des donnĂ©es comportementales comme les sites consultĂ©s, les applications installĂ©es. Et le mobile ajoute bien Ă©videmment les donnĂ©es gĂ©ographiques, qui permettent dâen savoir plus sur les zones de chalandise voire les magasins frĂ©quentĂ©s.
Toutes ces donnĂ©es permettent par exemple Ă Coca-Cola de cibler uniquement des jeunes femmes, CSP+, habitant en centre ville, et localisĂ©es prĂšs dâun de ses revendeurs, pour faire la promotion de lâun de ses sodas sans sucre.
đ©đ»â𩰠Un marchĂ© qui vaut de lâor ?
đ§đ»Oui, aujourdâhui, le ciblage permet dâaugmenter considĂ©rablement la valeur dâun inventaire mĂ©dia. Câest bon pour lâannonceur, qui gagne en efficacitĂ©, mais câest surtout bon pour le support, qui gagne plus dâargent Ă chaque impression ou Ă chaque clic.
Le mobile est dâailleurs devenu en une dĂ©cennie le premier marchĂ© publicitaire au monde, devant la tĂ©lĂ©vision ou la presse, et 90% des revenus vont prĂ©cisĂ©ment dans les poches des GAFAs, qui combinent des inventaires colossaux et une capacitĂ© extraordinaire de ciblage, que ne proposent pas les mĂ©dias traditionnels, faute de donnĂ©es...
Sur un chiffre dâaffaires global de 250 milliards de dollars pour la publicitĂ© mobile dont 4 milliards en France, la donnĂ©e reprĂ©sente dĂ©sormais la majoritĂ© de cette valeur.
đ©đ»â𩰠La donnĂ©e publicitaire, un problĂšme dĂ©mocratique ou politique ?
đ§đ»Depuis quelques annĂ©es, il est devenu mĂ©diatiquement ou politiquement correct de critiquer les gĂ©ants du digital, et de dĂ©noncer ces collectes de donnĂ©es personnelles, qui alimentent leur plates-formes publicitaires.
Quitte Ă me faire lâavocat du diable, jâaimerais toutefois rappeler que câest la publicitĂ© qui assure la gratuitĂ© des contenus digitaux - ce qui est bon pour la pluralitĂ© des opinions dans une dĂ©mocratie - et plus globalement lâaccĂšs gratuit Ă de nombreux services trĂšs innovants, ce qui est bon pour notre portefeuille.
PlutĂŽt que de sâopposer Ă la collecte ou Ă lâexploitation de ce que certains appellent lâor ou le pĂ©trole du 21e siĂšcle, il me semble plus pertinent de faire de la pĂ©dagogie, dâappeler Ă une collecte raisonnĂ©e en toute transparence, et de veiller Ă ce que son exploitation profite au plus grand nombre.